5 Cours
Histoire des courants cinématographiques
Dédié aux étudiants de la deuxième année
Matière annuelle
Spécialités : Ecriture et réalisation + Production
Matières transversales
Analyse
de films
Avril 2020
Nadia Dlimi
Proposition d’analyse-interprétative filmique de la séquence « les deux personnages féminins âgées et les poissons rouges » tirée du film Taxi Téhéran (2015) de Jafar Panahi.
Timing : 30 :46 jusqu’à 36 :30
S’attarder sur l’analyse filmique de cet extrait résulte à comprendre que le cinéma iranien par l’impact de la censure oblige, dans ce cas, le cinéaste Panahi à filmer dans un contexte de tournage interdit. Ainsi Panahi doit trouver des solutions pour sa mise en scène en mettant en exergue un filmage par la « caméra cachée ». Ces femmes âgées qui, pour nous, sont déjà installées dans le taxi du cinéaste se trouvent dans la transmission de leur tradition et touchent au registre comique et tragique.
Quelle est l’intention de Jafar Panahi par la notion de champ et de l’hors-champ afin de dynamiser principalement sa mise en cadre tout en donnant sens à cet extrait ?
La diégèse relate deux vieilles dames qui doivent être absolument avant midi à la source Cheshmeh Ali ; elles alimentent une théorie superstitieuse et absurde : étant nées à midi, à cinq ans d’écart l’une de l’autre, elles doivent prendre un poisson rouge à la source de Cheshmeh Ali et le rejeter un an après avant midi.
De ce fait, le filmage du cinéaste tourne autour de cette anecdote dans laquelle les effets de répétitions (récit) prennent le dessus en accentuant sur la représentation des trois personnages. La fixité du plan opté par le cinéaste résume l’atmosphère d’un enfermement. Le spectateur note un réel environnant qui apparaît que par fragments minuscules puisque le taxi du cinéaste suit sa trajectoire, à titre d’exemple, le cadre étant étroit le spectateur ne perçoit (comme au final de la séquence) une portière. Par conséquent le hors-champ possède un rôle primordial dans cet extrait, ce qui pourrait signifier, à tout moment, l’arrivée d’une surprise, d’un danger en donnant une place adéquate au spectateur qui lui se trouve principalement au centre de l’écran. Le cadre est nourri parfois par la présence complète du cinéaste (taxiste), tantôt par la présence des personnages féminins mais aussi par la notion de fragments des différents protagonistes.
Ces éléments avancés à l’égard de l’utilisation esthète de cette séquence qui résument donc les placements des personnages dont les dialogues entretiennent le rythme bifurquant sur le spectateur, valorisent la notion d’un découpage de la séquence en scènes. A cet effet, la voiture-taxi de Jafar Panahi se présente comme un dispositif à rencontrer le réel qui fait en sorte que l’ensemble de la bande sonore (atmosphère de la ville) reste intradiégétique (incidence sur le cours du récit). La caméra et donc le taxi du cinéaste enregistre le réel qui permet au spectateur de passer du documentaire (les fragments de la ville) à la fiction (superstition des deux personnages féminins) ; le tout enveloppé dans un choix de plan (fixité) et une durée de plan dilatée (4 secondes en moyenne).
Ce type de filmage de l’ « enfermement » dans lequel une sorte de mouvement panoramique diffuse des variétés d’idées par les personnages est ponctué par le taxi qui va donner sens au spectateur en mettant en valeur des croyances.
Ces croyances sont mises en relief par ces deux femmes âgées (mélange encore une fois de documentaire et fiction) dont les symboles d’éléments vont donner des indices à comprendre cette séquence. Comme nous l’avons décrit plus haut, l’empressement pour elles de libérer les poissons rouges et surtout leur construction théorique autour de leur délivrance montre au spectateur un réel paradoxe par rapport au cadre du cinéaste.
A travers leurs dires, le spectateur note un certain nombre d’éléments qui recherchent la liberté. Ces femmes transportent deux poissons rouges en exclamant que « c’est une question de vie et de mort » s’ils ne retrouvent pas la source. Mais, il semble que sur la signification, ne serait-ce du poisson et de sa couleur rouge véhicule la fermeté même de l’existence. Chevalier et Gheerbrandt symbolise le poisson dont l’articulation peut être interprété ainsi :
« (…) le poisson est encore symbole de vie et de fécondité, en raison de sa prodigieuse faculté de reproduction (…) symbole qui peut, bien entendu, se transférer au plan spirituel »[1]
Le rajout de la couleur rouge exprime la continuité d’un élan de vie des deux personnages féminins qui coûte que coûte doivent résoudre leur cheminement existentiel. Il s’avère donc que Chevalier et Gheerbrandt désigne le rouge comme :
« (…) symbole fondamental du principe de vie avec sa force, sa puissance et son éclat »[2]
Il paraît donc y avoir une similitude dans les deux citations : le symbole de vie et tout son principe. Les deux protagonistes féminines orientent l’action de libérer les poissons rouges dans un espace-temps défini. Le lieu est la source de Cheshmeh Ali, et d’autre part elles orientent cette « libération » à travers des chiffres sous forme temporelle comme à midi et cinq ans de distance par rapport à leurs naissances. Le chiffre douze évoque l’univers dans son déroulement cyclique spatio-temporel[3] et le chiffre cinq indique le monde sensible[4] (cinq sens). Ainsi ces deux combinaisons de chiffres déterminent pleinement l’action des deux protagonistes : le cycle de vie orientant une renaissance spirituel par l’intermédiaire du monde sensible.
L’idée d’ « enfermement »par le profilmique (ex : voiture) et par conséquent de la mise en cadre (ex : fixité du plan) semble paradoxale déterminée par l’élan de vie que souhaite incarner les deux personnages, soit libérer les deux poissons rouges, qui finalement résume le fait qu’elles souhaitent se libérer elles-mêmes. Les différents allers retours entre le champ et le hors-champ et la notion tout contre le cadre alimentent l’ensemble de la séquence par une représentation imaginaire. Celle-ci pourrait désigner une présence qui pourrait surgir à tout moment.
En définitive, le champ et le hors-champ détermine chez le spectateur une donnée primordiale pour la mise en scène de cet extrait. A ce propos , José Moure, qualifie la relation narrative-représentative comme :
« (…) La vacuité du plan déterritorialise provisoirement, par un mouvement centrifuge, l’espace de la narration, l’aspirant vers un hors-champ qui est ressenti non plus comme le prolongement imaginaire de la diégèse (la coulisse) mais comme son foyer dramatique (la scène) ».[5]
Le final de la séquence concocté par Panahi fait en sorte de mettre dans le même plan les trois personnages où le « foyer dramatique » prend toute son ampleur.
Le nouveau cinéma iranien face à la censure a donc un angle qui détermine une fabrication conséquente avec le champ et le hors-champ en évoquant dans cette séquence la condition de la femme dont le désir est de se libérer. La métaphore des poissons par la superstition articule leurs idées.
Le cinéaste en filmant ce huis clos (le taxi) expose-t-il au spectateur la censure par le dehors ?
[1] Chevalier J., Gheerbrandt A., Dictionnaire des symboles : Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres
URL-en ligne : https://fr.slideshare.net/HattoriDaYoungTeacha/chevalier-jean-et-gheerbrant-alain-dictionnaire-des-symboles, p.773
[2] Chevalier J., Gheerbrandt A., op.cit
URL-en ligne : https://fr.slideshare.net/HattoriDaYoungTeacha/chevalier-jean-et-gheerbrant-alain-dictionnaire-des-symboles, p.831.
[3] Ibidem, p.365
[4] Ibidem, p.254
[5] Moure J., Vers une esthétique du vide au cinéma, L’harmattan, 1997, p. 43